Non, je ne me suis pas harponné.e avec mon meilleur barreur, ni accroché.e comme jamais avec mon numéro 1 ou pire encore fritté.e à la dure avec mon régleur.
Agir ainsi aurait eu comme conséquence probable de vider, et pour longtemps, le cockpit et ainsi de m’organiser du même coup une poignée de mécontents dans mon environnement immédiat. Je le redis encore une fois, il ne s’agit pas d’orchestrer une brouille pour me fabriquer un alibi et partir seul.e enrouler les bouées sur le plan d’eau.
Je respecte le règlement moi, môssieur, et quand je lis »solitaire de printemps » je me présente à l’inscription avec un seul et même nom, le mien. J’admets qu’il est plus confortable d’enregistrer le bateau tranquillement au bar en susurrant un dernier café pendant que mes complices le préparent en bonnes petites fourmis toutes contentes de jouer à fond leur rôle d’indispensables. Et puis dans solitaire de printemps il y a printemps et la perspective de réchauffer en un coup égoïste mon dos tout coincé et mes mains encore raides d’avoir eu à bricoler la barquette dans des conditions si abominables cette année qu’elles m’auront fait douter de la bienveillance du ciel envers les pauvres savoyards des plaines. C’est que chez nous en avril/mai on ne traîne plus sur les pistes des stations environnantes, il y a mieux à faire comme par exemple embarquer pour la première solitaire de l’année*, le front haut et le regard altier.
C’est donc sous l’œil plus ou moins bienveillant de mes acolytes habituels que j’envisage sans regrets ni remords d’abandonner sur le quai celles et ceux qui devront ce jour-là se la coincer sur l’oreille pour la fumer plus tard.
Ils n’auront qu’à donner un coup de main derrière le bar ou nettoyer au gonflage les magnifiques bouées jaunes qu’ils auront aussi à installer là où on leur dira, pour que je puisse les avaler sous leur regard baveux. Si ça ne tenait qu’à moi, je leur ferai nettoyer le quai, tant qu’à faire, et préparer les petits fours de la remise des prix où je compte bien pavoiser. Quand j’aurai tourné les talons, une bière à la main, ils n’auront plus qu’à nettoyer le club.
Ils seront au plus tard chez eux à la tombée de la nuit.
Manquerait plus qu’ils m’en veuillent.
*Je compte faire le coup trois fois cette année, mais je reste discret pour l’instant.
photo Claude Beauduc